La grande démission... une tendance?

7 octobre 2022
J'ai pris conscience de la « grande démission » en 2021, en tant que phénomène lié à la COVID qui pourrait ou non se poursuivre au-delà de la fin (éventuelle) de la pandémie. Lors de conversations avec des entrepreneurs, nous avons discuté de rapports anecdotiques sur des épisodes de démissions plus élevés que d'habitude et sur des défis difficiles en matière de recrutement. J'avais le sentiment que les choses étaient devenues graduellement plus faciles en 2022.
Apparemment, eh bien, pas tellement. J'ai appris en septembre qu'une clinique médicale que je connais venait de perdre 10% de son personnel en une semaine, et qu’un cabinet légal est toujours à la recherche du remplacement d'un professionnel parti il y a six mois. Avec leur équipe restante, ce cabinet ne peut accepter de nouveaux projets avant quatre mois, même pour ses très bons clients. J'ai donc lancé un sondage rapide sur LinkedIn et, sans surprise, environ les deux tiers des répondants ont dit que oui, la Grande Démission est toujours d'actualité aujourd'hui.
Définir la Grande Démission
Selon Wikipédia, la Grande Démission est un mouvement de démission en masse qui aurait débuté au début de 2021, à la suite de la pandémie de COVID-19. Le terme a été inventé par Dr Anthony Klotz, professeur de gestion à la School of Management de l'University College à Londres. Dr Klotz a vu un retard dans les démissions s'accumuler en 2020, alors que de nombreuses personnes qui auraient autrement quitté leur emploi ont décidé de rester en raison de la pandémie (voir 1 sur le graphique ci-dessous). Il a prédit qu’au fur et à mesure que l'économie se redresserait, certaines de ces personnes mettraient en œuvre leurs plans de départ, créant une augmentation soudaine des départs volontaires (voir 2 ci-dessous). Fait intéressant, les départs mensuels avaient déjà tendance à augmenter 10 ans avant la pandémie (voir 3 ci-dessous), et les chiffres de 2022 du Bureau of Labor Statistics des États-Unis semblent à peu près alignés sur cette tendance (4 ci-dessous).

Démissions de 2010 à 2022 - graphique adapté de JOLTS, Bureau of Labor Statistics
En regardant ce graphique, on ne peut douter qu'il y ait des forces à long terme en jeu. Ces forces peuvent ou non avoir été exacerbées par la COVID, mais il est certain qu'elles ne s'atténueront pas de sitôt.
Le coût du départ de plusieurs employés pour une entreprise
Avant d’explorer la nature de ces forces, voyons ce que de tels chiffres signifient pour l'économie dans son ensemble ainsi que pour les entreprises et les organisations. Un taux de départs de 3 % peut sembler un peu bas, mais gardez à l'esprit qu'il s'agit de chiffres mensuels. Sur 12 mois, une entreprise qui subit une telle attrition peut s'attendre à perdre plus du tier de ses effectifs chaque année. Considérez maintenant que de nombreuses études évaluent le coût de remplacement d'un employé entre la moitié et le double de son salaire annuel. Et cela ne tient compte que des frais de recrutement, des coûts de formation et du paiement de la nouvelle recrue jusqu'à ce qu'elle atteigne un niveau de productivité minimal. Je soupçonne que l'impact réel est beaucoup plus élevé lorsque l’on tient compte du coût de substitution occasionné par l'incapacité de servir les clients pendant la période d'embauche et de formation. En regardant l'économie des États-Unis dans son ensemble, Worqdrive a récemment publié un rapport estimant le coût total des personnes qui ont quitté leur emploi en 2021 à plus de deux billions de dollars. C'est deux suivis de… douze zéros !
Causes courantes de démission
Quelles sont donc les causes de cette tendance inquiétante ?
Les salaires stagnent depuis longtemps et ils ne rattrapent toujours pas l'inflation croissante. Une étude en Australie a révélé que les travailleurs qui changeaient d'emploi voyaient leur salaire augmenter jusqu'à 10 %.
De nombreux emplois n'offrent pas ou peu de possibilités d'avancement. Tout le monde n'est pas intéressé par la course effrénée aux avancements, mais la plupart ont besoin d'un sens de direction et de progrès dans leur carrière.
Un environnement de travail hostile pèse lourdement sur le moral des personnes qui y sont soumises. Une culture d'entreprise toxique est de loin le plus important indicateur précurseur d'un taux de roulement élevé. Des études ont montré que son effet était dix fois supérieur à la celui de la rémunération.
Les politiques de travail à distance rigides sont de plus en plus difficiles à justifier. Les gens attendent et exigent maintenant que l’option soit offerte, et ils sont prêts à partir si elle ne l’est pas.
La flexibilité des horaires et la réalisation d'un certain niveau d'équilibre travail-famille deviennent également l'une des principales raisons d'envisager de partir. C'est un double coup dur lorsque les départs et les retards dans leur remplacement conduisent les organisations à mettre plus de pression - heures supplémentaires obligatoires, vacances annulées, horaires rigides, augmentation de la charge de travail - sur ceux qui restent, entraînant encore plus de démissions. C'est un cercle vicieux trop familier pour de nombreux établissements de santé à travers le monde. Même en Chine, un mouvement de protestation sociale appelé « tang ping » (s'allonger à plat) a commencé en avril 2021. Il s'agit d'un rejet des pressions sociétales menant au surmenage, comme dans le système 996 (travailler de 9 h à 21 h, 6 jours par semaine).
Des niveaux accrus d'épuisement professionnel sont observés dans l'ensemble de l'économie, ce qui conduit à la création d'un autre nouveau terme : « burnover », le roulement de personnel généré par l'épuisement professionnel.
Les travailleurs âgés se retirent de la population active, un phénomène connu sous le nom de grand départ à la retraite. Les baby-boomers, nés entre 1946 et 1964, prennent massivement leur retraite. Les changements dans la nature du travail et le fait que les baby-boomers vivent plus longtemps et en meilleure santé ont peut-être limité l'impact sur la main-d'œuvre pendant un certain temps, mais les retombées de la COVID ont certainement inversé cela. Un travailleur sur quatre aux États-Unis est un baby-boomer, et 10 000 d'entre eux atteignent l'âge de la retraite… chaque jour !
On assiste aussi à un grand bouleversement de l'identité professionnelle. La pandémie semble avoir déclenché une sorte d'épiphanie, une prise de conscience par beaucoup que la carrière dans laquelle ils s’étaient engagés n'était finalement pas pour eux. Cela a conduit à une multitude de termes nouveaux et inventés commençant (toujours !) par l’adjectif grand/grande. Voici un ensemble recueilli par Forbes : la grande redéfinition des priorités, le grand remaniement, la grande reconnaissance, la grande réinvention, la grande réalisation, le grand questionnement, le grand changement, la grande contemplation, le grand réveil, la grande réévaluation. Comme Forbes le mentionne dans leur article, nommer une tendance reflète un désir de sens et de modèles dans un monde changeant et troublant.
Un autre incident récent m'a fait comprendre le changement frappant dans la balance du pouvoir sur le marché du travail. Une de mes connaissances a demandé un appel de référence concernant un poste pour lequel elle passait une entrevue. Comme j'avais déjà travaillé avec l'un des cadres supérieurs de cette organisation, j'ai supposé qu'elle voulait que je parle à cette personne en son nom. Elle voulait plutôt savoir si je les recommanderais à elle. Quel renversement intéressant des rôles !
Façons de réduire ou d'éviter les démissions
Réduire la toxicité de l'environnement de travail. La toxicité est souvent le principal déclencheur des démissions, en particulier de celles où une personne qui part encourage les autres à emboîter le pas. Une autre forme de contagion!
J'ai déjà eu un employé toxique dans mon organisation. Bien qu'il ait été un bon contributeur individuel, le garder avec nous a été extrêmement préjudiciable à l'équipe, et nous avons fini par perdre de bonnes personnes à cause de son comportement désagréable. En y repensant, j'aurais dû agir selon mon instinct et le laisser partir au premier indice de son impact négatif.
D'autres éléments qui contribuent aux cultures toxiques incluent le fait que les travailleurs se sentent méprisés, et l'incapacité à promouvoir la diversité, l'équité et l'inclusion dans l’organisation. Heureusement, il y a une prise de conscience croissante de l'importance de ces problèmes; des outils sont maintenant disponibles pour aider à les résoudre.
Inutile de dire que la hausse des salaires et l'ajout d'avantages sociaux doivent jouer un rôle dans tout plan visant à éviter les démissions. Ce n'est peut-être pas le principal moteur de cette tendance, mais il est indéniable que la part des revenus allouée aux employés a diminuée, et que leurs salaires n'ont pas suivi l'inflation.
Des avantages tels que l'assurance-maladie, les congés payés et le soutien en matière de santé mentale sont désormais de plus en plus - et à juste titre - attendus par la main-d'œuvre.
Une enquête réalisée en 2021 par EY a révélé que neuf employés sur dix veulent que « où » et « quand » ils travaillent soient flexibles. «Où» signifie bien sûr principalement travailler à distance plutôt qu'au bureau, une demande qui ne peut plus être ignorée sans conséquences. La partie "quand" est également importante. Ça peut vouloir dire des heures condensées (travailler les mêmes heures mais en moins de jours), des horaires flexibles (pas seulement des heures de début et de fin, mais aussi des pauses prolongées pour, par exemple, s'occuper des enfants, faire une longue promenade ou se permettre une petite sieste à l’occasion), ou des horaires réduits.
Beaucoup connaissent le concept des entretiens de sortie, un processus par lequel un employeur recueille les commentaires et les idées des personnes qui viennent de démissionner, dans le but non seulement de comprendre ce qui est arrivé, mais aussi pour mieux prévenir les départs non désirés. Mais qu'en est-il de la conduite d'entretiens de continuation ? L'idée ici est de demander aux employés s'ils envisagent de partir, et ce que l'entreprise pourrait faire pour prévenir ce départ. Même s'il peut être difficile d'amener les employés à s’exprimer candidement sur ce sujet, cela peut certainement les faire se sentir plus compris et engagés.
Le bassin de travailleurs disponibles ne rattrapera pas de sitôt les besoins des employeurs. Dans cet esprit, nous devons trouver des moyens d'augmenter la productivité des personnes que nous sommes en mesure d'attirer et de retenir. La technologie jouera bien sûr un rôle important à cet égard : l'intelligence artificielle, les robots et l'automatisation des processus deviennent rapidement moins chers et plus puissants, au point de pouvoir gérer de nombreuses tâches routinières. Bien que la technologie puisse être un outil puissant, elle ne servira à rien sans de nouvelles façons de penser et des idées novatrices. Ce dont les entreprises ont vraiment besoin, c'est de développer une véritable culture de l'innovation. Ce changement transformationnel nécessite des gestionnaires plus humbles, qui savent qu'ils ne pourront pas trouver seuls toutes les idées originales dont leur organisation a besoin pour être compétitive et réussir. Ces gestionnaires accueillent les contributions des autres, sont déterminés à mobiliser les employés et sont prêts à puiser dans leur sagesse collective. Cela améliorera les choses pour tout le monde tout en augmentant la performance.
Parlant du bassin existant de main d'oeuvre disponible, il y a des façons de l'élargir. Cela inclut la recherche de personnes venant d'autres industries pour, après une formation et une adaptation appropriée, remplir des rôles pour lesquels elles ne seraient généralement pas considérées. Un peu comme les nombreux employés de restaurant qui ont trouvé un emploi mieux payé, avec de meilleures conditions et des horaires plus faciles. Cela inclut également les personnes issues de groupes marginalisés et victimes de discrimination. Sans oublier bien sûr les immigrants. De nombreuses études montrent qu'ils contribuent de manière cruciale à la croissance économique et au succès des communautés qui les accueillent.
Qu'ils restent ou qu'ils partent, il ne sert à rien de blâmer les employés pour les problèmes d'une organisation. Nous devons cesser de considérer les travailleurs comme des actifs qui doivent être « réparés » ou « remplacés » lorsqu'ils ne fonctionnent pas « comme il faudrait ». Les gens sont, eh bien, des gens, alors mieux vaut en faire des partenaires et des participants actifs à l'amélioration de leur environnement de travail. Les tenir imputables, oui, mais les traiter comme les personnes adultes, intelligentes et compétentes qu'elles sont. Cela contribuera grandement à les garder engagées et motivées .
Un nouvel espoir pour l'avenir du travail
Revenant au Dr Klotz (« l'inventeur » de la Grande Démission), il a déclaré lors d'un entretien avec le Washington Post qu'il avait vu « beaucoup d'entreprises parler à leurs employés, avoir des conversations en tête-à-tête, demander ce que les employés veulent à l’avenir, puis réfléchir à leur culture et à leurs contraintes organisationnelles ».
Changer une culture est difficile. Il faut du courage, mais aussi du temps, de l'humilité et du dévouement. La confiance ne se gagne pas du jour au lendemain ; elle se mérite par des paroles et des actes. Voici quelques indications sur ce qui peut aider :
- Communiquez clairement vos valeurs. Répétez-les souvent.
- Assurez-vous que tout le monde est mobilisé et comprend bien ce qui est en jeu. Les écarts de perception entre les gestionnaires et les travailleurs nuisent à des communications efficaces; elles peuvent faire dérailler toute tentative d'amélioration d’une situation. Comment une équipe pourrait-elle se mettre d’accord sur la solution à un problème sans d’abord s’entendre sur ce qui se passe réellement ?
- Établissez la confiance. Les entretiens individuels sont formidables, mais que se passe-t-il si les gens craignent des représailles ou un impact négatif sur leur carrière/emploi ? La confiance peut être établie en fournissant des moyens sûrs et confidentiels de fournir des commentaires, mais aussi en s'assurant qu'une action réelle et efficace suivra. Peu de choses suscitent la déception plus rapidement que les attentes non satisfaites et les promesses non tenues.
- Donnez aux gens le pouvoir réel de participer pleinement à la mise en œuvre des changements. S'ils en ont l'occasion, ils vous surprendront (probablement eux-mêmes aussi !) et les résultats seront visibles pour tout le monde.
- Reconnaître les efforts et célébrer les succès individuels, d'équipes et collectifs.
Au cours d'une autre entrevue, celle-ci avec Business Insider, le Dr Klotz a également déclaré que « l'un des aspects positifs de cette horrible pandémie pourrait être, espérons-le, d’amener le monde du travail à devenir plus sain et équilibré pour les employés ».
C'est plus qu'un vœu pieux. Je crois fermement qu'il s'agit d'un impératif incontournable pour les entreprises modernes et la société en général. Une main-d'œuvre en bonne santé, motivée, responsabilisée et engagée est essentielle pour favoriser le progrès économique et social.
Et vous? Avez-vous ressenti ou vu les effets de la Grande Démission? Comment cela vous a-t-il affecté et comment y faites-vous face ? Partagez vos commentaires ci-dessous et poursuivons la conversation !
Autres lectures et références (en anglais) concernant la grande démission
J'essaie d'énumérer la majorité du matériel dont je m'inspire pour écrire mes articles. N'hésitez pas à me contacter si vous pensez que j'ai manqué, déformé ou mal interprété du contenu dont vous êtes responsable.
- Wikipedia - Grande Démission
- JOLTS, statistiques sur l'emploi aux États-Unis
- Washington Post - Entretien avec le Dr Klotz
- Business Insider - Pourquoi tout le monde démissionne
- Sloan Review - La culture toxique entraîne des démissions
- Forbes - La grande démission... et plus
- Wall Street Journal - La contagion des démissions
- Worqdrive - Le véritable coût du départ d'employés
- ICIMS - Démographie de la main-d'œuvre
- Recrutement J2T - Impact du départ des baby-boomers sur le marché du travail
- Wikipédia - Tang Ping / Pose à plat
- EY - Ce que veulent les employés après la pandémie
- Gallup - Problèmes RH réparables
À propos de Françis Dion

Je suis un entrepreneur technologique motivé par la croissance, et un diplômé du programme de développement de l'entrepreneuriat du MIT. Je suis cofondateur et vice-président de Plan Monark, une plateforme logicielle qui soutient les équipes dans la recherche de solutions aux problèmes les plus critiques d'une organisation.